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Rentrée dans le rang?

C’est la rentrée, on est dans les starting-blocks, résolus et déterminés comme un 1er janvier. À vos marques, prêts, partez !


J’ai déjà acheté un téléphone reconditionné, arrêté la viande et la télé, préféré le train et le vélo à l’auto, réparé au lieu de racheter et co-voituré cet été !
J’ai plus qu’à me remettre à danser, à installer un lombri-compost sur ma terrasse, et un poêle à granulats dans ma salle à manger. Ecouter Thinkerview et Hors-série, lire, travailler, jouer, écrire, rêvasser, aimer et réussir mon master, sans oublier de « militer contre », de « m’engager pour » et d’aller au théâtre.

Sur ma table basse les programmes des théâtres alentour s’accumulent. Quand on vit en Île-de-France, la rentrée culturelle est une sorte de « mini Avignon » sur table de salon.
Comment faire pour tout faire ? Quand je lis les textes qui présentent tous ces spectacles intelligents, puissants et engagés, je ne peux m’empêcher de me demander ce que moi, Karine Mazel conteuse et autrice, j’ai à dire de plus, à faire de mieux, et ça me donne le vertige.
Serais-je gagnée par l’esprit de concurrence et de performance ambiant ? Ou bien est-ce l’effet sournois de mon surmoi ? Quoi qu’il en soit, je me surprends à vouloir être la meilleure, à convoiter les places en vues plutôt que de chercher la mienne, ce qui finit par me couper les ailes.
Et puis cette avalanche automnale de « spectacles à voir » provoque une pénible et récurrente sensation de frustration, accompagné d’un piteux sentiment de culpabilité.

Je me sens rangée dans la catégorie des « has been », « des looseuses », des « pas dans l’coup » pour le dire en français. Faudra que j’en parle mon psy.
« Mais bon sang ma chérie, il y a plus urgent que ta névrose, et bien plus urgent que d’aller au théâtre ! T’as vu l’état du monde ? Ca brûle, ça urge, c’est pas le moment d’aller poser ton derrière sur des fauteuils en velours, ou de t’allonger sur un divan ! » …me crient mes camarades de luttes. Je doute.


Et si c’était le contraire ? Si quand tout nous pousse à l’action ou la sidération, l’urgence était de prendre le temps ? Le symbolique, le sensible et le doute contre l’arbitraire, l’efficace et le performant. Ralentir pour résister.
-Ben c’est pas ça qui va arrêter le gouvernement et sauver « les migrants –Attendez, j’ai pas dit que je n’allais rien faire, au contraire !
Alors tandis que la terre agonise dans la chimie du profit, que la mer enfante des milliers de cadavres et que l’horizon s’alourdit.
Pendant que liberté, égalité, fraternité sont remplacés par surveillance, obéissance et individualisme forcenés, et que les médias conspuent une insurrection populaire salutaire, voici ma décision de rentrée, indécente et insolente : me convertir à la modestie en toutes choses, sauf en curiosité en ténacité et en générosité. C’est un grand projet. Ça ne sauvera pas notre monde, mais ça sera nécessaire au suivant.
D’ailleurs, vous voyez, ma chronique a déjà diminué de moitié !
Karine Mazel