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L’image des contes

L’image des contes
par Karine Mazel
Il y a quelques semaines j’ai entendu cette phrase à la radio au sujet de sujet d’un film en compétition au festival de Cannes : « ce film est mauvais car il est inconséquent, mièvre, mielleux, simpliste et plein de bons sentiments, comme sont les contes ».
Alors que le mot « conteur » est un adjectif qualifiant pour un cinéaste, un auteur, un chorégraphe, ou un peintre, pourquoi les contes sont-ils quant à eux disqualifiés ?
Comment l’image des contes traditionnels s’est elle fabriquée et que dit-elle de notre monde ?
Depuis de nombreuses années, les productions de films d’animation ainsi qu’une certaine partie de la presse et de l’édition jeunesse réduisent et enferment les contes populaires à l’enfance, à la morale, aux bons sentiments et aux stéréotypes garçons/filles. Ils véhiculent massivement ces stéréotypes et façonnent l’opinion, mais il ne faut pas confondre une chose avec son usage.
Si les contes populaires ont bien une fonction d’enseignement notamment auprès des enfants, la notion de morale leur est majoritairement étrangère. Ils sont également très éloignés des stéréotypes: «princes armés et courageux sauvant des princesses endormies sur un lit de paillettes roses» et questionnent au contraire, en profondeur les relations entre le masculin et le féminin, pour peu qu’on se penche un peu sur eux. Enfin leur cantonnement à l’enfance relève d’avantage de la stratégie marketing que d’une réalité ontologique.
Bien des chercheurs et universitaires ont produit des travaux sur ces sujets, et argumentés bien mieux que moi, mais que peuvent-ils contre des films d’animation et des groupes de presse ?
On pourrait m’objecter qu’«il n’y a pas de fumée sans feu» et que si les contes sont ainsi perçus, c’est bien qu’il y a une part de vérité dans ce discours. Ce même argument a été utilisé au sujet des femmes ou des noirs à certaines époques, pas si lointaines… il relève pour moi de la malhonnêteté et de la paresse intellectuelle.
La manière dont les contes sont traités en dit d’avantage sur le monde d’aujourd’hui, que sur les contes eux-même. Une époque où le cynisme règne en maître, et où la pensée complexe est méprisée. Un monde où il faut aller vite et être efficace, réalistes et pragmatiques. Pour cela il faut simplifier. Simplifier les analyses et donner du prêt à penser qui procure un certain contentement, une certaine impression de savoir.
Les contes sont victimes de cette mécanique d’amalgames, de glissement et de simplification. Les notions d’éducation et de pédagogie deviennent ainsi moralisation et normalisation, les figures du prince et de la princesse dessinent le stéréotype sexiste : «garçon actif et fille passive». Les formes simples sont perçues comme des formes simplistes et le triomphe de la pulsion de vie est confondu avec la mièvrerie et les bons sentiments.
Si les contes étaient réellement ces récits simplistes, mièvres et stéréotypés je me joindrais à tous ceux et celles qui s’en moquent, et je dénoncerais même leur usage auprès des enfants.
Mais cette vision est une imposture ainsi qu’une injure faite aux contes et aux enfants.
Les contes nous déroutent car ils ne s’embarrassent pas de la psychologie si chère aux romans, au cinéma et à un certain théâtre. Il n’y a pas dans les contes de complexité des personnages. Tous les personnages sont secondaires car le véritable héros des contes c’est le récit lui-même. Les différentes étapes créent une structure proche de notre psychisme et dans laquelle nous nous reconnaissons. Quand nous écoutons un conte nous sommes tous les personnages à la fois, exactement comme dans les rêves. Affranchis de notre âge et de notre sexe, des pesanteurs de l’époque et du temps, nous plongeons dans notre labyrinthe intérieur pour mieux en saisir les arcanes.
Dans les contes les situations traversées sont plus importantes que les personnages eux même. Les scénarios semblent simplistes car ils obéissent à des lois de causalités que l’ont peut facilement anticiper. Mais il faut comprendre que l’intérêt d’un conte ne porte pas sur son dénouement mais sur le déroulement.
La fantaisie des motifs et des images est à rapprocher de celle des rêves et non à l’enfance. Sous des dehors parfois absurdes ou inquiétants ils sont de véritables outils de connaissance de soi. Rêver est une nécessité humaine tout au long de la vie, c’est même une fonction naturelle du corps. Les contes sont de cette nature.
L’absence de psychologie, la prévisibilité et la fantaisie des scénarios des contes ne sont donc pas des preuves de leur inconséquences, mais au contraire de leur profondeur. Ils sont subversifs car ils proposent une vision interrogative et poétique du monde. Ils nous demandent d’imaginer, de penser, de ressentir et de questionner et la simplicité de leur forme est une façon de nous renvoyer à notre propre complexité.

Karine Mazel