Je voulais témoigner pour le compte rendu, d’une chose qui m’a particulièrement questionnée lors d’une rencontre de travail organisée par l’Association Professionelle des Artistes Conteurs :
Au moins deux artistes sont venues avec des questions de formes, qu’il s’agisse de mise en scène ou de texte.
Les ateliers proposés, en détournant l’attention des formes, ont souvent laissé apparaître une parole encrée et forte qui pouvait faire défaut dans les propositions initiales.
Comme si l’effort de forme occultait, ce qui est pour moi l’essentiel du travail du conteur : l’encrage de la parole dans l’intime; c’est à dire d’où je parle, à qui je m’adresse et pourquoi je parle ? Ce qui revient à se poser la question de « qui je suis »…
C’est cet intime révélé qui me touche.
Ma réflexion est que nous, conteurs, rêvons parfois peut-être de « formes » pour de mauvaises raisons. C’est à dire parce que nous ne faisons pas suffisamment confiance à nous même et à notre parole ou parce que nous aspirons à jouer dans le réseau théâtre.
Pourtant la parole et la présence du conteur permettent à eux seuls, une expérience sensible et sensitive totale qui mobilise à la fois, l’imaginaire, l’émotion, la mémoire sensorielle, le vue, l’odorat, le toucher, l’ouïe et le goût. C’est une parole spectaculaire. Grâce à elle le spectateur fabrique des images.
Pour autant, mon propos n’est pas de condamner ceux (dont je fais partie) qui travaillent « les formes » (texte, mise en scène, lumière, scéno ect …) ni d’enfermer le conte au coin du feu. Cette séance de travail a simplement attiré mon attention sur les écueils de nos recherches ainsi que sur la difficulté, voire l’impossibilité que nous avons à les éviter dès lors que nous travaillons seuls. Il nous faudrait pour cela être doué d’ubiquité car celui qui produit une forme ne peut l’observer dans le même temps.
A présent si j’analyse ma propre expérience, je constate que dans mon processus créatif, je suis très vite happée par des questions formelles et que j’écarte inconsciemment les questions de fond. Je dois sans cesse lutter contre cette tendance. Pourquoi ?
Ce que je sens c’est que les questions de fond me mettent en danger, car elles engagent mon être. Je redoute cette rencontre avec moi-même, avec ce que l’histoire va faire émerger de moi. Une intuition me pousse mais j’ai peur de ce que je vais rencontrer. Alors je « fais », je « fabrique » et ce faisant je m’éloigne de ce qui pourrait me brûler. Mais à force de s’éloigner de ce feu, que je pourrais tout aussi bien considérer comme source de chaleur et de lumière, je prends le risque de produire une forme figée et froide, dans laquelle je ne me serais pas réellement engagée.
Quelles que soient les formes que nous choisissons, la difficulté est grande de faire en sorte qu’elles soient des révélateurs et non pas des écrans.
« La forme, c’est le fond qui remonte à la surface » (Victor Hugo) alors laissons remonter tranquillement…
Karine Mazel
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