Il y a dans la parole de Nicolas Bonneau une urgence à dire, et c’est cela d’abord, qui capte l’attention. Comme à son habitude, il a choisi un sujet fort qui le concernait, puis il a mené l’enquête. Son spectacle est le fruit d’un long travail documentaire. Mais au- delà de l’enquête, on voit la quête d’un artiste. Pour lui, l’histoire de Mohamed Ali a une dimension légendaire contemporaine, quasi-mythologique, qui atteint l’universel. Le Combat du Siècle en est une sorte de démonstration.
Au début, le conteur joue les Pierre Tchernia de la boxe et déroule les références cinématographiques communes. La parole est simple, en adresse directe au public qui est invité à deviner le nom des films évoqués par ses mimes. C’est léger, efficace, souvent percutant et drôle mais l’air de rien, Nicolas met en place son récit. Il introduit son sujet et nous trace le chemin qui l’a conduit à être là, devant nous, aujourd’hui, avec cette histoire-là. La boxe comme une allégorie de la vie, un combat à mort pour la survie.
La 1ere image de Mohamed Ali qu’il nous offre, est celle du héros déchu, tremblant au moment d’allumer la flamme Olympique à Atlanta en 1995. Puis il retrace son parcours. Il met l’accent sur les implications sociales et politiques de ce fameux « Combat du siècle » de 1974. Combat entre le « nègre blanc » Georges Forman (dit le méchant qu’on aime bien), et le « nègre noir » converti à l’islam, Mohamed Ali (dit le gentil qui va gagner). Un combat au pays de Mobutu, pour des américains secoués par la guerre du Vietnam et la lutte pour les droits des noirs.
On apprend beaucoup, on se souvient un peu selon notre âge.
Il y a en filigrane et en parallèle à celle des géants, une deuxième histoire, plus humble, plus humaine, qui se déroule.
On voit ce que cette épopée noire du début du siècle dernier, lui fait à lui, Nicolas Bonneau petit blanc d’aujourd’hui. On le voit essayer de se hisser jusqu’à Ali et partager avec nous de l’importance de cette histoire et de ce qu’il y a découvert.
C’est sa marque, sa patte de conteur ; se mettre en scène en tant qu’artiste en train d’enquêter, collecter, chercher, questionner, écrire, créer. On le voit apparaître par moments dans l’histoire, un peu à la manière d’Alfred Hitchcock. Cette omniprésence du conteur dans le récit créer un contre-champ permanent qui déplace le regard du spectateur.
Le Combat du Siècle est une histoire de violence, de force, de colère, d’intelligence et d’amour. L’histoire d’un homme puissant, fier et arrogant comme Achille, d’un homme d’une dimension quasi homérique. Le grand Ali aurait pu être foudroyé par l’orage qui a salué sa victoire. Au lieu de cela il est devenu « l’homme aux mains tremblantes » accomplissant ainsi la prophétie vaudou. Tous les ingrédients de l’épopée et du mythe sont rassemblés mais l’aspect documentaire empêche selon moi d’y accéder totalement.
Les dimensions poétiques, lyriques et symboliques émergent de la musique associée aux lumières et à la vidéo. Dans cet espace la parole de Nicolas Bonneau change de nature, elle se joue du rythme, des sons, et son corps s’engage dans l’action.
C’est puissant comme les assauts soudains d’une tempête en pleine croisière. On est souvent secoués, déstabilisés dans cet habile montage entre épopée et documentaire.
J’ai quitté la salle en me disant : « C’est un spectacle magnifique, j’ai beaucoup appris, beaucoup admiré l’écriture du plateau, la musique, les lumière, l’intelligence de l’auteur-interprète, admiré aussi la force de Mohammed Ali. Mais ai-je été émue, ai-je été happée par la fiction, ai-je tremblé pour les personnages ? Me suis-je identifiée à eux ? Ai-je ressenti la terreur et la pitié de la tragédie et de l’épos ?
Etrangement, la réponse est en demi-teinte, comme si l’intention didactique avait fait barrage à l’émotion.
Mais venons-nous au théâtre pour être émus ? Bertolt Brecht a déjà apporté une réponse à cette question, ce spectacle me la repose et j’avoue ne pas savoir y répondre encore pour moi, tout à fait.
Karine Mazel
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