Luigi Rignanese grand alchimiste de sa vie.
Le récit de vie est à la mode ! Approchez, mesdames et messieurs et venez vous délecter de la vraie vie des gens ! A la télé, au ciné ou dans les chansons, les faits divers et quotidiens n’ont pas de saisons ! Le JE envahit les plateaux au détriment d’un NOUS devenu obsolète.
Et bien moi je revendique un désir de merveilleux, de poésie, et d’universalité. Non pas pour échapper à la réalité, ou de me divertir de la noirceur du monde, non. Je veux rendre hommage (je sais que la mode est au cynisme et que je vais sembler excessive, lyrique et ridicule mais peu m’importe) à tous ceux et celles qui, comme Luigi Rignanese avec son spectacle Desmerveilles, transforment le plomb en or. A ceux et celles qui par la grâce d’un acte artistique, transforment la réalité en poème et le personnel en universel. C’est cela même qui incombe à l’artiste ; arriver si près du noyau de soi qu’il se dissout et se transforme en nous.
Luigi et le guitariste Lo Blanc, nous content deux histoires, deux quêtes qui finiront par se rejoindre. Il y a d’abord les années 60, son père, sa mère, le bal, leurs rêves déçus et la vie toute crue. On se dit « ho non pas encore de la télé réalité, marre de ces gens qui racontent leurs vie »
Et aussitôt, on est exhaussé : On bifurque vers une nouvelle histoire, un conte merveilleux avec une princesse qui doit épouser un rat (évidemment dit comme ça … )
Les deux histoires progressent un temps l’une après l’autre puis elles s’interpénètrent. La princesse à la recherche de son rat entre dans le cirque de la vie(olence) des Rignanese. La mère trapéziste s’affaire autour des spaghetti, entourée de ses enfants. Il faut les servir juste à l’heure pour que le père lanceur de couteaux, mange chaud. C’est un numéro périlleux mais enfin, à l’heure dite exactement, le plat fumant trône sur la table (cymbales, applaudissements). Le temps passe, le père n’arrive pas. Quand enfin il ouvre la porte, la tension est à son comble, on sent que ça devient dangereux. Il a bu, il est agressif et se met à lancer ses couteaux. Pour faire face à ce déferlement de violence les enfants enchainent les numéros. Seul l’enfant transparent, dans son pyjama trop grand, se cache et attend.
La scène est saisissante de justesse, quelque chose de félinien se dégage. On est au cœur de l’acte artistique, la chose décrite est ignoble et son récit magnifique.
L’univers de Desmerveilles est foisonnant, les images empruntent autant aux motifs de conte merveilleux qu’au surréalisme, au fantastique et au rêve. Le passage du conte merveilleux au récit de vie déstabilise au début, mais très vite on se laisse conduire par la voix du conteur qui module son récit en accord avec la guitare. La musique n’est jamais un décorum, elle est partie intégrante de la parole et de l’action. Elle s’accorde avec la voix, propose un contre point grinçant aux fêtes, crée des climats, étire le temps ou l’accélère.
Ce spectacle tout juste sorti du nid, a beaux jours et de belles nuits devant lui, car il touche à l’essentiel, aux questions qui nous taraudent un jour ou l’autre : c’est quoi être soi ? D’ou vient la violence, quelle est son chemin et son empreinte ? Qu’est ce qu’on choisi de sa vie ? Qu’est ce qui nous agit dans l’ombre et que faire de nos héritages-prisons ? La réponse est ouverte et symbolique par la grâce du conte merveilleux.
Desmerveilles est un spectacle qui prend le temps. L’écoute est flottante, fluctuante comme quand on rêve et qu’on se perd. On peut s’arrêter sur une image, une pensée, puis revenir sans jamais perdre le fil car le sens de l’histoire, sa direction, sont présent à chaque instant. Ils s’étirent et nous attire.
J’aurais préféré ne pas entrer dans Desmerveilles par la porte du JE. Ne pas savoir d’emblée qu’il s’agit de la vie de l’auteur, mais le deviner, l’imaginer voire l’oublier. Car cette histoire n’est pas seulement celle de la vie de Luigi Rignanese, c’est aussi la nôtre même si nos parents n’étaient pas les siens et que nous n’avons rien d’autre en commun que notre humanité.
Luigi « l’enfant transparent » saura t-il disparaitre suffisamment pour nous laisser enfiler son pyjama trop grand ?
Karine Mazel
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