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Au coeur des cendres

Au Coeur des Cendres est une symphonie à six personnages, une danse à six acteurs, une prière à six chanteurs, une traversée humaine bouleversante.

LUMIERE

Dans un halo à l’avant scène, les six personnages entassés pour leur dernier voyage, ne sont plus qu’un seul corps qui oscille au rythme des rails, des vagues ou de l’asphalte. Ils sont le choeurs des déportés, des exterminés, des indésirables, des réfugiés. Les « sans », les milles visages de l’histoire, qui nous regardent et nous disent, que nous n’avons rien appris, que nous ne faisons que recommencer les mêmes gestes, les mêmes mots, les mêmes haines, les mêmes résistances.
Et ça n’est ni triste, ni tragique, simplement humain… « trop humain … ».

Ce choeur d’hommes et de femmes ondoyant, revient régulièrement au cours de la pièce. Il en est l’ouverture, la ponctuation infinie et la fermeture. Il est la permanence du passé dans le présent et dans l’avenir, qui ne sont rien d’autre qu’un möebius sans fin.

Valérie Castel-Jordy s’est inspirée du personnage et des écrits d’Etty Hillesum jeune femme déportée à Auschwitz, pour bâtir une fiction. Comme dans les tragédies antiques dont on connaît d’emblée l’issue, comme dans le théâtre brechtien ou dans les contes merveilleux, on s’intéresse pas ici, au dénouement mais au déroulement. On observe les circonvolutions de l’Histoire et leurs retentissements sur cette jeune femme et ses proches

On assiste à la naissance d’une résistance, à l’éveil d’une conscience plus vaste. A un soldat SS elle dit :
– Ce n’est pas toi qui es criminel mais le système qui t’utilise. Tu deviendras dangereux quand ces hommes avec leurs bottes te lâcheront comme un fauve. Je ne te donnerai pas ce que tu veux, tu n’auras pas ma haine. (…)
Et à la fin :
Le moindre atome de haine que nous ajoutons à ce monde nous le rend plus inhospitalier encore.

Je repense à la pièce d’Adel Hakim, Exécuteur 14 qui montrait comment le sillon creusé par la violence subie, peut conduire à la haine. Etty, elle, ne se laisse pas soumettre par sa douleur, elle cherche sans relâche le moyen de garder sa dignité. Partout où on cherche à l’enfermer ou à la réduire, elle entre en elle-même pour trouver un espace. C’est sa voix intérieure qu’on entend tout au long de la pièce, celle des ses carnets de sauvetage.
– Je sais que je ne tiendrai pas longtemps dans un camp. Le pire sera d’être privée de papier et de crayon. Quelque chose éclatera et m’anéantira de l’intérieur. Je me coucherai pour mourir et je ne trouverai pas la vie injuste.
La pièce n’est cependant pas un monologue. Etty est dans la vie avec les autres, elle va chez son psy, chez ses parents, chez ses amis, au café, au théâtre, elle travaille aussi. Ces différents espaces se construisent et se déconstruisent à vue avec des déplacements chorégraphiés visibles et invisibles, de valises. L’action avance dans les dialogues et s’interroge dans les monologues. Etoile jaune, convocations, arrestations, évasions, libération, collaborations, déportations… Etty et sa famille se débattent et débattent entre eux. Et leurs questions lancinantes nous reviennent en écho : survivre, mais à quel prix ? Se soumettre jusqu’où ?
Que peuvent la philosophie, la folie, l’art, l’amour ? A quoi bon ?

L’obstination naïve d’Etty, ses enthousiasmes, ses rages, ses élans lui donnent parfois un air de sainte touchée par la grâce. Elle pense toujours plus grand, plus vaste et cela agace ou scandalise ceux et celles qui sont rompus. D’autres au contraires, se laissent toucher et quelque chose s’ouvre en eux et pour eux.

Dans le wagon une femme d’abord dure et cynique, lui offre finalement un carré de chocolat.
-Rien à foutre, répond un déporté quand elle dit que les soldats allemands sont aussi des victimes de cette guerre.

Et puis, il y a l’histoire d’amour entre Etty et Spier son psychothérapeute jungien, qui l’épouse pour la sauver en vain. Le baiser fugace sur les lèvres d’une de ses amies, un élan qui ne fait que passer. Ce baiser et toute la sensualité de la relation entre Etty et Spier sont la réponse du corps à la morsure de la mort. Le plaisir, l’amour, les amours ; ouvertes, intenses et troubles, comme réponse aux douleurs de l’âme. La musique aussi ; l’art dans sa sublime fonction alchimique de transformation du plomb de la douleur en or de la création. La comédienne Julie Castel Jordy, ouvre des espaces tout au long de la pièce par sa voix et sa présence lumineuse de chanteuse de cabaret.
La musique diffusée comme la bande son d’un film enveloppe et soutient notre imaginaire. Electro, textures sonores, piano enregistrés, et aussi chants et guitare joués en direct, tissent un univers musical foisonnant, libre et jamais envahissant.

Quelque chose vibre et circule tout au long du spectacle, une mise en résonance fine entre les questions du passé et celles du présent.
« Si toute cette souffrance n’amène pas un élargissement de l’horizon, alors tout aura été en vain. Je rêve d’une Europe qui fasse tomber les murs qui l’enserrent et devienne une terre d’asile. Peut-être qu’elle ne nous oubliera pas ? » dit Etty à la fin du spectacle.
La surimpression permanente entre intime et politique, individuel et collectif, histoire passée et contemporaine, nous invite à tisser des liens et évite la pesanteur d’un discours d’auteure engagée.

La mise en scène est naturaliste par le jeu et les costumes et abstraite par la musique et la scénographie. Pas de décors construits, pas d’imitation en trompe l’oeil, le mouvement des corps et la valse des valises dans l’espace suffisent au voyage. J’ai parfois eu la sensation d’être au cinéma, mais la présence des acteur me ramenait au théâtre. D’autres fois je rentra dans ma fiction intérieure sans jamais perdre le fil, j’étais en mouvement.

Le personnage d’Etty est magnifiquement incarnée par Juliette Rizoud, comédienne sensuelle, vivante et sincère. Sa voix comme une musique, déploie les sens. Les autres personnages sont portés avec grâce par les comédien-es- qui offrent une présence intense et un jeu aussi précis que nuancé. Je peux ainsi m’identifier à tous et à chacun et agrandir mon humanité.

Un mot enfin de la lumière qui comme la musique, accompagne avec délicatesse notre imaginaire. Elle créer des décors et des climats, découpe et fait exister des espaces. Une lumière comme un personnage discret et indispensable cette histoire,
C’est la lumière d’ailleurs qui a le dernier mot : la porte du wagon s’ouvre sur la camps d’Auschwitz, après de jours d’obscurité, la lumière aveuglante…

NOIR.
SILENCE.

Ce silence qui précède et suit les cataclysmes
Ce silence que l’on traverse et qui nous traverse
qui suspend la vie, le temps, la mort, nous soulage, et nous console.
Et nous sommes soudain, reliés les uns aux autres, intensément.
Nous sommes devant la porte du camp, dans nos fauteuils de théâtre, dans nos questionnements intimes, dans les valises, et dans le visage heureux des comédien-es.

APPLAUDISSEMENTS
LUMIERE

Texte Etty Hillesum et Valérie Castel Jordy
Adaptation, scénographie et mise en scène Valérie Castel Jordy
Traduction Philippe Noble et Isabelle Rosselin Éditions du Seuil
Avec : Julie Castel Jordy (Chant), Pierre-Alain Chapuis, Anne Le Guernec, Matthieu Marie, Julien Lot (Guitare) et Juliette Rizoud

Création musicale et sonore Julie Castel Jordy et Julien Lot
Chorégraphie et travail du mouvement Jean-Marc Hoolbecq
Conseil artistique Charlotte Villermet
Costumes Aude Désigaux
Construction du décor Julien Lot
Création lumière et régie Matthieu Bernard