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Kalavrita, mille Antigones

KALAVRITA, MILLE ANTIGONES
Théâtre de la Reine Blanche du 7 au 18 mars 2002

Le spectacle du conteur Philippe Campiche, Kalavrita, mille Antigones, donne tout son sens à l’expression « faire œuvre de mémoire ». Ensemble l’autrice, l’actrice, le conteur et les musiciens subliment et transmettent un des épisodes les plus abominable de la deuxième guerre mondiale. Transmettre, non pour ressasser ou se flageller mais pour se souvenir de quoi les êtres humains que nous sommes sont et seront toujours capables.

Le conteur Philippe Campiche raconte les faits avec pudeur et sobriété. Il prête sa voix et son corps à l’horreur de la grande Histoire qui le traverse:
Cette nuit-là dans la montagne, les mille trois cents hommes d’un village ont été massacrés et laissés sans sépulture, par d’autres hommes, des soldats. L’insupportable, l’inouï, l’irreprésentable. Les femmes n’ont pris de repos qu’après leur avoir offert un tombeau. Pierre à pierre, sans relâche, jour et nuit elles ont lavé les corps souillés et les ont rassemblés pour que leurs âmes aillent ensemble. Quelles béances hurlantes ces hommes exécutés ont-elles laissées ?

Une comédienne, personnage d’un théâtre d’ombres, témoigne.
Les femmes n’ont pas eu d’autre choix que de vivre; travailler, organiser, éduquer, nourrir les enfants. Elles ont pris la place des hommes exécutés, traînant avec elle un deuil coupable et pétrifié.

Quelle vie pour les soldats assassins ? Quelle « banalité du mal » ?

La musique, parole ciselée, puissante et claire, est la troisième voix du récit. Elle le soulève et l’agrandit. Le silence en est la quatrième, un au-delà des mots, qui leur donne un écho.

Les artistes marchent sur le fil coupant de l’Histoire, attentifs et concentrés car l’abime de l’horreur les guette. L’actrice et le conteur se tiennent côte à côte, face public, sans le moindre artifice, chacun sa parole, chacun son temps et son espace. Lui, le conteur raconte ce qui est arrivé. Elle, est comme un personnage évadé de l’histoire, venu pour témoigner et porter la voix des femmes.

L’acte de ces femmes pour ensevelir le corps de leurs époux, les inscrit dans la filiation d’Antigone prête à mourir pour donner une sépulture à son frère. Kalavrita mille Antigones révèle la porosité entre l’Histoire et la fiction et fait entrer ces hommes et ces femmes dans le champ du tragique et du sacré. Devenus les héros et héroïnes d’un récit, ils accèdent à l’immortalité.

L’art du conteur dans sa fonction essentielle et vitale de transmission d’une mémoire collective et de sublimation par le poétique. La délicatesse, la dignité et la justesse.

Merci à ces artistes pour leur grâce et leur courage.

Texte de Charlotte Delbo
avec
Philippe Campiche et Isabelle Bouhet : récitants
Julie Campiche ou Soledina Camesi : Harpe et voix
Jacques Bouduban : Violoncelle
Gauthier Toux : Piano
Production : Compagnie Pousse-Caillou

Retrouvez Kalavrita, mille Antigones en audio aux Editions Oui Dire ici