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Shéhérazade Tisserande des Nuits de et par Anne-Gael Gauducheau d’après les Mille et Une Nuits

Les Mille et une Nuits, tout le monde connait, au moins de nom. Certains spontanément vont citer Sinbad et Aladin, beaucoup oublient Shéhérazade. Ce grand récit-à-tiroirs persan est finalement plus connu pour ses adaptations en albums ou films pour enfants, que raconté à la communauté. Il est souvent aussi morcelé et coupé de son histoire cadre, celle de Shéhérazade et du roi Shariar.
La conteuse Anne-Gaël Gauducheau honore ce grand récit en évitant ces premiers écueils, car le projet comporte trois volets, d’une durée totale de trois heures trente, qui traversent l’œuvre dans son entier.
Mais quel lieux culturels s’engagent aujourd’hui dans une telle durée? Ils achètent tel ou tel volet pour les enfants, parce que le titre est vendeur. Mais en faisant cela, la spécificité de l’œuvre est niée ainsi que la démarche de l’artiste. L’économie du spectacle vivant créer des formats, de durée, de genre, et de public qui deviennent des normes et influencent l’esthétique des spectacles. La complexité du monde et de l’humain finissent par s’y dissoudre et s’y perdre. Mais gageons que Shéhérazade et Anne-Gaël Gauducheau sauront en convaincre certains, car il y a chez elle une gourmandise et une jubilation à raconter contaminantes.
Pour montrer son spectacle à Avignon,  la conteuse qui fut aussi comédienne, a dû s’adapter à la taille du plateau, réduire la durée et s’adresser au jeune public. La mise en scène spatialise les deux espaces du récit: à l’avant-scène un siège pour la narration des contes. Le reste du plateau dessine l’espace de l’histoire cadre; la chambre de Shéhérazade; un lit cage à baldaquin en fer forgé. Le musicien occupe le fond de scène avec son cymbalum dans une absence-présence proche de celle d’un musicien de ciné-concert.
Cette scénographie a malgré tout un inconvénient : le centre du plateau n’est quasiment jamais occupé et la conteuse raconte longtemps avec le décor dans son dos. Cela créé un déséquilibre entre l’importance du récit cadre et l’espace qui lui est accordé. D’ailleurs la scénographie a pour moi disparu, derrière les images des contes eux-même. La puissance évocatrice de la parole apparait ici bien plus forte que n’importe quel décor ou mise en scène. Cela interroge utilement le dialogue entre les outils du théâtre et l’art du conteur où la parole est en elle-même spectaculaire.
Le cymbalum donnait à certaines scènes des accents de cinéma muet, et d’autres fois, une couleur orientale à-propos. Il accompagnait également Shéhérazade dans son chant et la conteuse dans son invocation initiale. J’ai parfois regretté qu’il ne développe pas d’avantage des climats ou des contres-points au récit.
Quoi qu’il en soit, je suis curieuse de découvrir la suite de cette trilogie aussi bien destinée aux connaisseurs, qu’aux nouveaux auditeurs des Mille et Une Nuits.

Musique originale du compositeur Gerardo Jerez-Lecam. “La Grande Traversée des 1001 Nuits” est écoutable sur disque (coffret 3 cd chez la librairie en ligne «le jardin des mots»). http://www.lalunerousse.fr

Karine Mazel
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